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Le baiser

Salut Ă  l’inconnu(e)

Avant de par­tir, nous nous sommes embras­sĂ©s ; rituel d’un adieu plus ou moins consen­ti. Lorsque Mathilde s’est appro­chĂ©e d’Anil, celui-ci a pré­sen­tĂ© la joue. Elle a deman­dĂ©, sur­prise : « Com­ment fait-on cela en Inde Â» ? Le dan­seur a joint les mains sur la poi­trine et l’a saluĂ©e pour toute rĂ©ponse Ă  une ques­tion for­mu­lĂ©e dans une langue qu’il ne com­pre­nait pas. Le geste la sur­prit ; ou peut-ĂȘtre la gĂȘna-t-elle, y voyant une marque de pudeur et une hĂ©si­ta­tion devant une invi­ta­tion Ă  la bise. Anil s’é­tait glis­sĂ© der­riĂšre un geste fami­lier, hĂ©ri­tĂ© de son Inde mil­lé­naire, pour saluer l’inconnu(e). L’un et l’autre se vou­lurent Ă©tran­gers, supen­dus Ă  un geste qu’ils n’arrivaient pas Ă  finir.

Richard Trem­blay, Ă  la suite d’une rĂ©si­dence au Centre cho­ré­gra­phique de Bel­fort (France, 1998) avec la par­ti­ci­pa­tion de Anil Kumar et de Guillaume Lemas­son.
Pho­to : Danse Kalashas

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Rencontre célÚbre

Un gra­cieux narcissisme

On raconte qu’un jour Ein­stein fut tĂ©moin de la chute spec­ta­cu­laire d’un ouvrier de la construc­tion ; tom­bĂ© d’un Ă©di­fice Ă  plu­sieurs Ă©tages, le tra­vailleur avait mira­cu­leu­se­ment sur­vé­cu. Ein­stein s’empressa de lui rendre visite Ă  la pre­miĂšre occa­sion, car il avait une ques­tion urgente et bien pré­cise Ă  lui poser. La ques­tion du phy­si­cien Ă©tait la sui­vante : « Qu’a­vez-vous sen­ti en tom­bant, cher mon­sieur ? Â» L’ou­vrier sou­rit et res­ta un moment silen­cieux. Il aurait pu rĂ©pondre de plu­sieurs façons. Il aurait pu dire : « J’ai eu peur, j’ai pen­sĂ© au mal­heur de ma femme, de mes enfants, de mon pĂšre, de ma mĂšre, de mes amis, de mes frĂšres et soeurs. Â» Ou : « J’ai sen­ti tout le far­deau de mes actions, de mes pĂ©chĂ©s dont je me repens. Â» Ou encore : « Je ne regrette rien. Â» Mais la rĂ©ponse de l’ou­vrier fut tout aus­si remar­quable que la ques­tion du phy­si­cien : « J’ai sen­ti, mon­sieur, que je n’a­vais pas de poids Â», rĂ©pon­dit-il. L’a­nec­dote est rap­por­tĂ©e par un des Ă©lĂšves du maĂźtre. Quoi­qu’il en soit du sort de ce tra­vailleur qui a mira­cu­leu­se­ment sur­vé­cu Ă  l’ac­ci­dent, le cĂ©lĂšbre phy­si­cien avait obte­nu la rĂ©ponse qu’il cher­chait et il Ă©tait allĂ© la cher­cher lĂ  oĂč il pou­vait la trou­ver. Mais, de se deman­der le cho­ré­graphe enviant l’ou­vrier pour la renom­mĂ©e que lui atti­ra sa chĂ»te, le court dia­logue aurait-il seule­ment pu avoir lieu si, au lieu d’un ouvrier, Ein­stein avait ren­con­trĂ© l’un de ces maĂźtres de danse qui se laissent encore ten­ter par les ques­tions de gra­vi­tĂ© ? Le savant ne semble guĂšre s’ĂȘtre pré­oc­cu­pĂ© des cho­ré­graphes pour les ques­tions se rap­por­tant Ă  la gra­vi­tĂ©, ayant cher­chĂ© Ă  inter­ro­ger un indi­vi­du sans pré­ju­gĂ© qui n’a pas de poids en tom­bant. Ein­stein aurait vu dan­ser Mar­tha Gra­ham rap­porte-t-on d’autres sources, mais on ne relĂšve aucun dia­logue mĂ©mo­rable Ă  cet effet ; seule­ment un Ă©loge ou deux adres­sĂ©s Ă  la cho­ré­graphe que, peut-ĂȘtre, il savait qu’elle Ă©tait aux prises avec le gra­cieux nar­cis­sisme auquel elle devait son gĂ©nie.

Texte tiré de The Great Dis­co­ve­ry of Free Float. In Whee­ler, John A. (1990, 11).
Pho­to : Hen­ry & Co. from Pexels

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Apprendre en se mettant dans la peau de l’autre

« Do you have to be one to know one ?» (Fay : 1996).

Écrit au dĂ©but des annĂ©es 1980, l’ar­ticle « Intro­duc­tion au tra­vail de la eden­sen Inde Â»  intro­duit le rap­port de l’ap­pren­ti Ă  son maĂźtre de danse dans un pro­ces­sus d’apprentissage inter­pré­tĂ© sous le regard d’un sujet dit « autre Â». L’apprenti, qui assume le rĂ©cit au nom du nar­ra­teur, y met en place le  rĂŽle du sujet en dĂ©pla­ce­ment quand intra­nĂ©i­tĂ© et extra­nĂ©i­tĂ© ne peuvent se rĂ©a­li­ser que dans l’ar­ti­fice d’un jeu. Pour le nar­ra­teur impli­cite (ou expli­cite, celui qui Ă©crit ?), l’apprentissage en ques­tion n’est que pré­texte au dĂ©ploie­ment d’une mĂ©ta­per­for­mance qui se dĂ©roule entre celui qui joue et celui qui est jouĂ© en allant de l’interchangeabilitĂ© des rĂŽles au pira­tage de l’autre.

Trem­blay, Richard (1982). « Ini­tia­tion au tra­vail de la danse en Inde Â». Les Cahiers de la danse de l’Inde (Kala­shas, Ă©d. SILENTCULTURE), 10 – 30.

Pho­to : Kala­man­da­lam Gopi dans le rĂŽle de Bahu­kan. (Pho­to : R. Trem­blay, 1978.)

Voir : Danse thĂ©Ăątre katha­ka­li.

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L’homme invisible

Un soliste de la danse se pré­sente : ni dan­seur, ni cho­ré­graphe,  anec­do­tique,  sin­gu­lier, mas­cu­lin, sous un corps qu’il a ren­du exo­tique en le sin­gu­la­ri­sant aux abords de l’ex­pres­sion­nisme alle­mand. Ain­si a‑t-il consa­crĂ© l’exo­tisme de son corps par rap­port Ă  celui du dan­seur enro­bĂ© dans l’au­ra de la cou­leur, du rythme, de la per­cus­sion et du rĂ©cit ; ni l’un ni l’autre se disant exo­tique pour autant.

AUTRES
Col­lec­tion de pho­tos prises au KĂ©ra­la, Inde (R. Trem­blay, 1976 ‑1981). Album de Katha­ka­li.